Colloque des cycles supérieurs du Département des littératures de langue française (Montréal) :

La pandémie a entraîné une brusque et profonde reconfiguration des modalités d'échanges : les chaînes de production et de transport commerciales ont été arrêtées ou ralenties à travers le monde, les mesures de confinement ont interrompu subitement la sociabilité, et les discussions formelles et informelles en personne ont été remplacées par des réunions virtuelles. Ayant, comme beaucoup, pris conscience de la fragilité de liens que bon nombre considéraient comme acquis, les membres représentants des cycles supérieurs du Département des littératures de langue française de l'UdeM vous invitent à réfléchir autour de la notion d'échange – aux discours qui la convoquent ou la problématisent, à ses représentations, ses modalités et ses enjeux – le temps d’un colloque organisé au département.

Emmanuelle Lescouët présentera "Texto et clavardage : l’épistolaire numérique"

Les littératures numériques ont adopté une grande variété de formes, dont nombres sont mimétiques d’interfaces utilitaires existantes : GPS, profil de réseau social, galerie photo, etc. La démocratisation des téléphones intelligents et, avec eux, des interfaces de messagerie et de clavardages a permis l’apprentissage d’un dictionnaire de gestes et de fonctionnalités communes (Citton 2012). Par exemple, réponse à des notifications, glissement pour tourner une page, tap pour valider ou invalider un choix, pour ne citer que les plus connus.

Si les fictions épistolaires ne sont pas rares à travers l’histoire de la littérature, elles ne le sont pas non plus en numérique : les protagonistes échangeant entre eux et permettant des narrations claires, elles-mêmes reposant sur des mécaniques connues. De plus, cela permet l’incarnation d’un.e protagoniste sans perturber la diégèse, et donc l’investissement du.de la lecteur.ice par des navigations à choix multiples (Aarseth 1997).

Ainsi, avec l’avènement de la littérature numérique et des dispositifs de lecture, des formes littéraires reposant sur l’échange de courriers électroniques, de textes ou de chat bot ont vu le jour. Les Chatstories, ou fictions reposant sur des interfaces de messageries et construisant des arborescences narratives plus ou moins denses sont nombreuses; certaines allant jusqu’à temporaliser la lecture (notifiction), faisant coïncider le temps réel et le temps diégétique (Lescouet 2021).

Ces échanges entre les protagonistes (fictif.ve.s) et le.a. lecteur.ice transforment le rapport épistolaire (Bouchardon 2012), perpétuant et prolongeant les formes historiques du genre sur les supports contemporains (Vitali-Rosati 2020; Galloway 2012).

Dans cette présentation, j’étudierai les implications de telles formes littéraires : ici, l’immersion et l’investissement du.de la lecteur.ice dans le texte par les gestes de lecture convoqués. L’usage d’interfaces familières sur des supports de lectures intimes inscrit la fiction dans la présence numérique de l’individu (Ryan 2015; Souchier et al. 2019), par des gestes de l’intime toujours en usage dans les pratiques extradiégétiques, ce sont ces aller-retours entre diégèse et quotidien qui seront étudiés dans une théorie de l’hyperconnexion (Agostini-Marchese 2020).